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parmi ceux du type exemplaire de l'homme: aujourd'hui le Dr Tetsu Nakamura

16 Décembre 2019 , Rédigé par IWOU

parmi ceux du type exemplaire de l'homme: aujourd'hui le Dr Tetsu Nakamura

http://japosphere.blogs.liberation.fr/2019/12/05/je-vais-vous-parler-des-etres-et-de-la-terre/

Cécile Asanuma-Brice 5.12.2019

A l’heure où la déforestation ronge la planète, quelques êtres, eux, luttent pour sa revégétalisation. Alors que certains détruisent la vie, d’autres travaillent à la maintenir. Voici le destin d’un médecin japonais, peu connu en occident, pourtant lauréat du prix COSMOS (équivalant du prix Nobel de l’écologie, simultanément avec Augustin Berque pour ses travaux sur la Mésologie), en 2017 à Kyôto. Il aura consacré sa vie à celle du peuple Afghan.

En 1984, le docteur Tetsu Nakamura participe à une mission humanitaire qui lui fait découvrir le Pakistan. A son grand étonnement, les personnes qu’il soigne sont principalement des réfugiés en provenance d’Afghanistan. Face au dénuement de ces populations, il décide de construire un premier dispensaire en 1992, pour y proposer des soins dans la région de Nangarhashu.

Pays de montagnes, l’Afghanistan est habité par une vingtaine d’ethnies différentes, qui cohabitent en bonne entente. 80% de l’activité du pays est l’agriculture et la même proportion de personnes y vivent en auto-suffisance. Des années de guerre avec les Etats-Unis ont fini de ruiner le pays entier. Le Dr Nakamura, après avoir construit plusieurs dispensaires, finit par y établir son hôpital en 1998.

Guerre et sécheresse

L’été de l’année 2000, les villageois apportent leurs nourrissons, un à un à l’hôpital, le corps parsemé de plaies induites par la déshydratation et le manque d’hygiène dus à la pénurie d’eau. La sécheresse touche la région régulièrement et génère des vagues d’émigrations importantes. En mai 2001, l’Organisation Mondiale de la Santé déclare que 4 millions de personnes y sont dans un état de famine avancé, alors qu’un million de personnes sont déjà décédées de malnutrition. Après avoir fait le tour des villages, la situation est consternante : les puits sont vides, et les villageois se bataillent le précieux liquide lors de distributions restreintes en provenance de quelques sources encore abreuvées. L’agriculture n’est plus possible dans de telles circonstances et la famine menace de s’imposer de nouveau.

Ce contexte est celui dans lequel surviennent les attentats du 11 septembre 2001 et les répliques américaines qui suivirent. Fuyant les bombes, les populations d’Afghanistan migrent par milliers à la frontière pakistanaise. Quelques mois plus tard, la moitié d’entre eux décident de rentrer reconstruire leur pays. Mais les villes sont détruites et les champs sont de nouveau ravagés par la sécheresse préfigurant de nouvelles vagues de migration. Accablé par ce qui se dessine sous ses yeux, le docteur Tetsu Nakamura réalise que ce qui importe, c’est avant tout de permettre aux gens de pouvoir manger à leur faim. Dans un tel contexte, le reste, tout le reste, était désormais superflu. La condition première à une amélioration de la situation est de permettre une alimentation en eau potable pérenne, les faibles quantités restantes étant devenues impropres à la consommation et cause principale de mortalité infantile en raison des bactéries qui s’y étaient développées. Il décide, avec le soutien de la NPO (Non Profit organisation) Peshawar[1], de détourner une partie du principal cours d’eau de la région, le fleuve Kunal, afin qu’il vienne irriguer les terres devenues arides, estimant que construire un système d’irrigation serait plus profitable à la vie que l’acheminement de centaines de médecins. « Je ne pense évidemment pas que les soins soient inutiles, mais il faut d’abord traiter les causes des maladies et faire en sorte que les gens ne tombent pas malade avant d’avoir à les soigner. C’est notre devoir».

En route vers le génie civil

Se référant à des documents de professionnels japonais, il trace ses propres croquis et plans, prend conseils et convainc les habitants de s’investir dans un chantier de plusieurs années. Bien entendu un médecin ne se convertit pas en ingénieur des ponts et chaussées en quelques semaines, mais advienne que pourra, le Dr Nakamura est bien décidé à ne pas lâcher l’affaire. Les hommes du village lui prêtent main forte et leur motivation a la force de leur vie, de celle de leurs enfants, amis et familles. Quoiqu’il advienne, tous sont bien décidés à aller jusqu’au bout. En 2003, ils commencent par creuser, à la pelle, un canal de plusieurs kilomètres. Les rumeurs courent dans les villages alentours et les agriculteurs affluent de toutes parts pour venir aider aux travaux. Un petit salaire est distribué à la journée à tous ceux qui participent. Ils construisent d’abord des digues avec des pierres assemblées dans du grillage, formant ainsi comme des sacs qu’ils superposent sur les bords de l’affluent. Avec des pelleteuses ils vont chercher des pierres de plusieurs tonnes dans les montagnes avoisinantes. Ils les poussent sur des dizaines de km pour les faire tomber dans le fleuve et tenter d’entraver sa course. Après plusieurs échecs tant la force de l’eau charriait blocs de bétons, rochers et autres minéraux, le Dr Nakamura rentre au Japon et part à la recherche d’inspiration.

Il la trouvera auprès des édifices construits du temps d’Edo[2] qui lui permirent de comprendre qu’il fallait répartir la pression de l’eau en construisant des avancées obliques et non perpendiculaires afin de permettre à la force des courants de pouvoir s’échapper, sans pour autant emporter la digue. Il repart affronter le fleuve Kunal, armé de nouvelles méthodes qu’il partage avec ses compagnons.


 

Mais l’IS afghane et l’armée américaine continuent de s’affronter sur terre comme au ciel, perturbant l’avancée des travaux. Les blindés américains, montés par des militaires plantés derrière leur viseur, mitraillette au poing, sillonnent le chantier, alors que des hélicoptères le survolent.

« Eux volent pour tuer, nous, nous creusons pour donner la vie »

Le Dr Nakamura ne peut dissimuler sa colère face aux hélicoptères américains qui survolent leur chantier.

Parmi les ouvriers, deux yeux bleus, un visage pâle dissimulé derrière un shemagh[3] se dégagent au milieu des teints basanés de ses congénères. Un jeune déserteur de l’armée américaine est venu en renfort. Ici tous luttent pour un même objectif : la vie. « Certains prennent les armes, nous nous amenons l’eau » aimait à dire le Dr Nakamura. Il s’était également exprimé sévèrement sur la réforme de la constitution proposée par le gouvernement japonais de Shinzo Abe, permettant au pays de se doter d’une armée d’attaque (et non seulement de défense), aux côtés des Etats-Unis : « Il n’y a pas de gouvernement plus stupide ! Si nous avons le devoir de nous plier à la constitution, rien ne nous contraint à nous soumettre au gouvernement ! » s’insurgeait-il.


 

Malgré ces perturbations, il réussira néanmoins, lui et les villageois qui l’accompagnaient, à construire un canal de plus de 25 km irriguant toute une vallée de nouveau cultivée et permettant aujourd’hui d’alimenter des milliers de personnes. Aux individus qui le mettaient en garde contre les dangers de la région, il répondait : Si c’est pour le peuple Afghan, je veux bien mourir.

« Je vais vous parler des êtres et de la terre »… c’est par ces mots que le Dr Tetsu NAKAMURA entame son discours de présentation lors de la remise du prix Cosmos… du fond de la salle, j’écoute, les yeux écarquillés par le respect, l’énergie et l’espoir que m’inspire cet être dont la vie a été volée hier, d’une balle dans le poumon droit.


[1] foulard Afghan


 

[2] Nom donné au Japon durant la période qui s’étend de 1600 à 1868


 


[3] http://www.peshawar-pms.com/


 

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